Un pauvre type (un de plus)

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« Vous trouvez ça normal de rembourser les frais de santé d’une personne en situation irrégulière et de ne pas pouvoir le faire pour un Français ? » (Bruno Le Maire, 1er débat)

On est habitué à entendre leurs bêtises à longueur de temps, bêtises rarement proférées par ignorance ou misère intellectuelle mais simplement pour coller aux supposées orientations d’une partie de la population, généralement pas la plus brillante (on est en démocratie pour le meilleur et pour le pire, et de plus en plus pour le pire). On dit qu’accéder aux responsabilités c’est « mettre les mains dans le cambouis », mais pour y accéder, ou tenter de le faire, il faut parfois d’abord se rouler dans le caca. Tous ne le font pas avec le même empressement. Certains semblent réellement aimer  ça, et le font avec une forme de ce qu’il faut peut-être appeler talent. Sarkozy est imbattable à ce sport qui consiste pour un membre de l’élite à se faire plus vulgaire que le premier venu, plus beauf que le français moyen (toutefois Sarkozy a le gros avantage d’être en partie ce qu’il joue, il n’est pas dans une totale composition). Le niveau moyen semble chaque jour s’affaisser un peu plus, et la stratégie de ces gens là, stratégie fréquemment gagnante, est de tirer sans cesse sous la ligne de flottaison morale et intellectuelle de la population. Le navire de la communauté nationale prend l’eau, et sa misère morale le pousse chaque seconde un peu plus vers l’avènement du Front National. Mais tant qu’il reste un espoir de tirer les marrons du feu ils n’arrêteront pas. Après tout quel est l’enjeu ? Le sort de la France et des français ?

Donc on parle de « racailles », on insulte des gens qui ne veulent pas vous serrer la main, ou alors quand on veut rester plus policé en apparence on fait comme Bruno Le Maire : on évoque proprement, poliment la façon dont les immigrés clandestins sont mieux traités que les français. Parce que c’est un scandale : on soigne les clandestins et pas les français.

Evidemment c’est faux, évidemment ça repose sur un pur fantasme xénophobe. Evidemment une toute petite réflexion de dix secondes, reposant sur le simple constat que la politique est affaire de calculs cyniques, ferait prendre conscience de cette aberration : les clandestins ne votent pas, ne représentent aucune force, et des politiques auraient décidé de les choyer sans autre raison que par pure idéologie xénophile ? Ou alors cette gauche si peu de gauche n’aimerait pas les pauvres français, et les priverait sciemment de soins.

D’ailleurs que voudrait-il Bruno Le Maire ? Qu’on ne soigne pas les clandestins ? Peut-être ne sait-il pas que leurs pathologies peuvent éventuellement se transmettre aux français ? Peut-être qu’il serait capable de regarder mourir quelqu’un qu’on pourrait soigner mais qu’on ne soignera pas car il est étranger en situation irrégulière ? Parce que c’est ce que suggère son indignation de bistrot.

Bien sûr ça n’est qu’une phrase en passant, un détail parmi tant d’autres qui enfoncent sans cesse la vie politique dans le fumier. On fait mine de s’alarmer de la progression du Front National, et on ne voit plus ce genre de propos, qui venus de la droite supposée fréquentable, est exactement dans la même veine que le Front National. Un Front National qui ressasse d’ailleurs un peu moins que naguère cette rhétorique anti-immigrationniste beaufisante. En somme Bruno Lemaire, l’homme nouveau, se baigne dans une mare qui pue tant que même le Front National la visite un peu moins qu’il ne l’a fait. Peut-être que le Front National a trouvé le fond et a cessé de descendre dans la démagogie glauque et haineuse puisqu’il ne le pouvait plus. Quand on touche le fond on ne remonte pas forcément, mais on ne descend pas davantage.

Bruno Le Maire, l’homme si brillant, si « nouveau » ne désespère pas de gratter encore un peu la fange de ce populisme qu’il stigmatise chez « les extrêmes » alors qu’il y est enfoncé jusqu’au cou.

Le problème c’est pas tant que les élites soient « déconnectées » du peuple, c’est quand ces élites pensent que le peuple est simplement une masse à manipuler pour faire carrière. Et quand la manipulation implique de désigner des populations particulièrement faibles, vulnérables comme indûment privilégiées on touche à l’abjection.