Adieu Stupeflip

 

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Comment expliquer pourquoi on aime Stupeflip ? Il y a bien l’emballage musical, les boucles qui rebondissent dès les premières minutes de ce dernier album, cette sensation d’être une bille de flipper qui rebondit joyeusement sur des bumpers et autres joyeusetés ludiques : The Antidote est tellement Stupeflip qu’il en est presque convenu. Il y a ces jeux de mots ridicules, infantiles et qui tapent pourtant si juste, parfois menaçants, souvent gorgés de cette prétention naïve, puérile de celui qui a décidé d’être fier de sa monstruosité plutôt que de la dissimuler : « Ma face de gogol fait trop flipper les foules et ça me ramène plein de cagoles quand j’enfile cette cagoule » ou « C’est du lourd c’est d’l’or ce qu’il y a  dans mon disque dur, je fais des disques d’art qui seront disques d’or. »

The Antidote est complètement Stupeflip, mais il y a déjà un truc bizarre. Une petite mélancolie pointe déjà dans ce morceau musicalement léger.

La grande incompréhension autour de Stupeflip est que certains n’ont jamais compris que tout y était au premier degré. C’est pour ça qu’au milieu d’un univers musical saturé par une diversité probablement sans cesse croissante King Ju a réussi à souder un groupe de fanatiques. La sincérité n’est pas en soi une qualité suffisante pour être artiste, et il y a plein d’artistes sincères et très chiants. Mais Stupeflip c’est autre chose. Il peut y avoir de l’ironie dans le propos, mais pas une once de cynisme, qui est pourtant la valeur cardinale de l’époque. Il y a de la dérision aussi, avec le fil rouge de cette voix de google traduction, « Sandrine Cacheton », qui évoque le dialogue pathétique mais rédempteur de l’homme en perdition de la Vie très privée de M. Sim avec la voix féminine de son GPS. Stupeflip est peu calibré pour le commerce, malgré le malentendu Je Fume Pu d’Shit ( qui reposait déjà sur l’incompréhension d’un morceau certes amusant mais totalement premier degré…), Stupeflip passe mal dans les medias, joue très mal la comédie de la promo et c’est pour ça qu’on l’aime. Non qu’il suffise d’être nul au niveau médiatique pour être génial, mais dans le cas de Stupeflip tout est lié, l’inadaptation et l’oeuvre…

Musicalement ce dernier album a effectivement, comme annoncé des airs d’adieu. Stup virus reprend des formules qui ont parsemé le parcours du Crou durant un peu plus d’une décennie. Les titres dégagent moins d’entrain que sur le formidable Stup Invasion, et l’on ne trouve plus les chansonnettes écervelées (et lassantes au bout d’un moment il faut l’avouer) de ce fameux album. Les intermèdes pop grotesques sont plus tristes (Lonely Loverz), bien qu’à y réfléchir Stupeflip n’a jamais été un groupe marrant malgré une forme de légèreté trompeuse. Stupeflip a finalement toujours oscillé entre autodérision, déprime et rage, même si les boucles sont sympatoches et les accents pop volontiers désuets et ridicules.

Dans ce dernier album, au net parfum de testament (quoiqu’il se passe ensuite), Stupeflip semble prendre une dernière bouffée d’oxygène pour délivrer quelques hymnes exangues, échos affaiblis de l’énergie de l’indépassable Stupeflip vite ! Understup et cette voix enfantine féminine, à l’écho un peu lointain criant un mystérieux et régulier « Naaan ! » évoque à merveille cette sensation d’assister au dernier souffle d’un mourant, qui mélangerait les souvenirs dans un même propos (l’aspect martial de Stupeflip vite ! et les éléments enfantins du Spleen des petits).

On retrouvera d’ailleurs la jeune Colette sur le délicieux intermède Fou-fou, qui mêle à la perfection ses accents juvéniles avec les réminiscences du maxi Terrora (« Die motherfucker die »). Stupeflip a peu utilisé les voix féminines, mais toujours à bon escient (les fabuleux couplets hurlés d’Hélène dans Stup danse ou le dialogue à la fois malsain et poignant avec King Ju dans le Cartable à l’époque de Stup religion)

King Ju semble d’ailleurs se branler totalement du possible mauvais goût de la formulation de « Terroriste bienveillant » par rapport à une actualité à cet égard brulante. Après tout il a bien raison, et puis le mauvais goût n’a jamais été un frein à l’expression de Stupeflip. C’est une des raisons de l’aimer.

Pour ma part je dirai que mon morceau favori dans cet album étrange, tendance fin de lignée est Crou anthem, qui est dans le moule des merveilles égocentriques de Stupeflip : Hater’s killah, la Menuiserie et autre Apocalypse 894.

Stup virus n’est en fin de compte certainement pas le meilleur album pour découvrir le groupe, Stup invasion ou Stup religion s’avérant plus agréablement fantaisistes. Mais il est assurément une conclusion inévitable pour ceux qui ont aimé ce qui a précédé.

Une conclusion poignante, pathétique, un dernier tour de piste où l’on entend des formules familières comme on reconnaît quelques éléments d’un quartier où l’on a habité alors qu’on n’y est pas revenu depuis  longtemps. Il a toujours de la rage, du désespoir, l’ironie grinçante du groupe, mais avec cette fois quelque chose du Hal 9000 qu’il faut déconnecter dans 2001 l’Odyssée de l’espace. Ce terroriste-là a beau toujours avoir été bienveillant malgré son imprévisibilité et ses coups de dent, il se sera courageusement débranché lui-même avant de risquer ce qu’il n’a jamais voulu être, une parodie empreinte de ce truc sympa au début mais franchement dégueulasse quand on en bouffe tous les jours, le second degré.

Merci King Ju d’avoir été, pendant ces années, à la fois si tendre, si violent, si ridicule et si premier degré.

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